Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Orientée plein ouest, la salle à manger-véranda du château Lafaurie-Peyraguey s’avance jusqu’aux vignes. Nous sommes dans un domaine prestigieux du sauternes, qui est aussi un restaurant deux étoiles. Ici, les vins épousent magnifiquement les crustacés, végétaux, viandes, poissons ou desserts proposés par le chef Jérôme Schilling. Car oui, les nectars liquoreux de ce 1er grand cru classé, né sur les collines de Bommes (Gironde), méritent de s’aventurer au-delà du foie gras et de la bûche de Noël.
C’est le pari que faisait, en 2018, le nouveau propriétaire, le Suisse Silvio Denz, PDG de la cristallerie Lalique et œnophile distingué, en transformant en hôtel-restaurant la demeure aux murs blonds et toits de tuiles. Pour la première fois dans le Sauternais, un domaine misait sur l’hospitalité et la gastronomie pour réenchanter une appellation mal en point. La consommation de sauternes, comme celle de la plupart des vins moelleux français, chute en effet depuis le début des années 2000, victime de la disgrâce du sucre.
« Il fallait sortir le sauternes de son image classique, montrer que sa palette aromatique et des vinifications axées sur la fraîcheur permettent de nombreux accords avec les plats », insiste Romain Iltis, directeur des vins des restaurants Lalique (Lafaurie-Peyraguey, mais aussi la Villa Lalique, à Wingen-sur-Moder, dans le Bas-Rhin ; The Glenturret Lalique, à Crieff, en Ecosse ; ou la future Villa Florhof, à Zurich, en Suisse).
Aux commandes des cuisines, l’Alsacien Jérôme Schilling relève ce défi : élargir la gamme des plaisirs associés au sauternes (avec quatre variations de menus allant de 205 à 260 euros). Ancien disciple de Joël Robuchon et de Roger Vergé, ce Meilleur ouvrier de France 2023 avait connu une première expérience bordelaise au côté de Thierry Marx, quand celui-ci officiait au restaurant Cordeillan-Bages, appartenant au château Lynch-Bages, grand cru de Pauillac. Mais c’est ici, à Bommes, où l’on trouve d’autres grands châteaux sauternais (La Tour Blanche, Sigalas Rabaud, Rayne Vigneau, etc.), que ce sportif, passionné de tennis, a acquis le surnom de « cuisinier des vignes ».
« Je me suis imprégné du vignoble du château », souligne Jérôme Schilling. Ce n’est pas une formule abstraite. Dans un décor d’œuvres de cristal, le chef vante les mérites de la feuille de vigne, « fraîche ou séchée, comme papillote ou en infusion » ; du sarment, idéal pour les fumaisons ; de l’acidité du verjus, le jus des raisins encore verts dans lequel il roule les gnocchis de butternut accompagnant sa sole. Dans l’huile de pépins de raisin maison, il confit un merlu auparavant passé dans un mélange de moût (ce qui reste des raisins après pressurage) et de sel.
Les vins de Lafaurie-Peyraguey inspirent aussi la cuisine. « Quatre dégustateurs ont répertorié plus de 80 millésimes en en décrivant la palette aromatique, explique le quadra au col bleu-blanc-rouge. Je pioche dans ces descriptions comme dans une boîte de couleurs pour concevoir mes plats. » Le millésime 2011 est, par exemple, à l’honneur ce 15 juillet. Sur sa fiche, le dégustateur René Gabriel met en avant son « bouquet délicat de bergamote et d’Earl Grey, de mirabelle, de fleur de citronnier, d’écorce de mandarine ». Jérôme Schilling lui associe une langoustine – en carpaccio et en robe croustillante – alliant la vivacité du kalamansi (un agrume d’Asie du Sud-Est) et le miellé du pollen.
Autre vin du domaine, la cuvée « La Chapelle » de Lafaurie-Peyraguey parfume aussi certaines sauces. Le chef y fait infuser hibiscus, fleurs de sureau, truffe, copeaux de chêne, etc. « Le bois lui donne une allure de rhum vanillé, dont j’ai joué avec un homard », précise Schilling. Sa cheffe pâtissière, Jade Franceschino, fait quotidiennement réduire le vin moelleux jusqu’à l’obtention d’un sirop qui remplace en partie le sucre dans ses meringues et autres desserts. Le sauternes peut imbiber un baba, braiser des fraises, confire des kumquats, se mêler à des agrumes dans un soufflé…
Le lien constant entre la cuisine, les vignes et les vins encourage bien sûr des accords mets-sauternes. Ils ne sont pas systématiques – il serait dommage de se priver des innombrables trésors de la carte des vins – mais réservent bien des surprises. Un « sweetz » (cuvée « La Chapelle » additionnée d’un zeste d’orange et de trois glaçons) démontre déjà que la piste des cocktails mérite d’être explorée en accompagnement des mises en bouche. Dans la douce fraîcheur de sa jeunesse, un Lafaurie-Peyraguey 2016 taquine ensuite l’acidulé de l’eau de tomates, la gourmandise d’une brioche aux olives et le gras d’une stracciatella fumée aux sarments de vignes.
Si, pour la langoustine, le sommelier opte pour le bordeaux blanc sec du domaine, Jérôme Schilling s’illustre avec des viandes conçues pour l’or des moelleux. Tout en rappelant la tradition régionale du mariage sauternes-poulet rôti, il nous met l’eau à la bouche en racontant son ris de veau croustillant à la rhubarbe et aux blettes, « magnifique avec un 1992 ».
A table, il éblouit avec une côte de veau marinée quarante-huit heures dans de la lie de vin, sublimée par un verre du millésime 2007, riche d’arômes safranés, de notes de cire d’abeille, de pamplemousse confit. Une liqueur boostée par l’acidité que le temps confère aux grands sauternes.
Stéphane Davet
Contribuer